Collège Stendhal

Collège – Nantes

Loire Atlantique
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Félicitations aux élèves de 5A et à leur professeur de français, Madame Godino!

Le jury composé d’inspecteurs, d’une enseignante et de chefs d’établissement a retenu parmi les lauréats de la session 2019 du concours d’écriture en Education prioritaire la classe de 5A du collège Stendhal de Nantes (Mme Godino).

La cérémonie de remise des prix a eu lieu au rectorat ce 22 mai. 

Pour le plaisir de tous, voici le texte primé :

Addict.

 

Ce matin-là, en s’installant pour prendre son petit déjeuner, Kahina n’était ni très bien réveillée ni de très bonne humeur. Elle ne prêta donc aucune attention à ce que disait sa mère et se contenta d’acquiescer de temps en temps en buvant son chocolat. Il lui fallut dix bonnes minutes pour réaliser qu’en fait, elle ne comprenait rien du tout, comme si sa mère parlait une langue étrangère.

– Maman, qu’est-ce que tu dis ? demanda-t-elle. Tu me parles en kabyle, c’est ça ? Tu sais bien que je ne le parle pas !

Sa mère haussa les épaules en la regardant bizarrement et lui fit une réponse complètement incompréhensible en désignant la pendule d’un air sévère. Kahina allait être en retard pour l’école. Elle prit son cartable et quitta la maison en se promettant d’éclaircir ce mystère quand elle rentrerait. Dehors, le voisin promenait son chien. Il salua Kahina et lui posa une question dans la même langue inconnue. Il était impossible de penser que le voisin s’était mis subitement à parler kabyle et, d’ailleurs, à bien y réfléchir, ça ne ressemblait pas du tout à du kabyle. En vérité, ça ne ressemblait à rien du tout.

Kahina avançait vers l’école en se sentant de plus en plus angoissée. Quand elle s’aperçut que tous les gens qu’elle croisait parlaient cette satanée langue, elle eut bien envie de se mettre à pleurer. Ce chemin pourtant si familier lui faisait presque peur. Même la Loire avait une couleur bizarre. Elle voulut croire qu’elle faisait un cauchemar et qu’elle serait bientôt réveillée par une mère normale qui s’adresserait à elle en français. Mais ça ne semblait pas probable.

À quelques mètres devant elle, elle reconnut un camarade de classe et courut vers lui en criant : – – Théo ! Attends-moi, s’il te plaît.

Il s’arrêta et l’attendit. Kahina espérait très fort que Théo parlerait encore français et que cette inquiétante maladie linguistique ne touchait que les adultes.

Le collégien se retourna avec une lenteur étrangement exagérée comme s’il était au ralenti. Plutôt beau gosse, une petite mèche brune lui tombait sur le front lui donnant un air rebelle. Ses yeux bleu-vert se plantèrent dans ceux de la « tismée » qui détourna le regard, un peu gênée car ses sentiments envers lui commençaient à changer sans qu’elle ne sache trop pourquoi.

Quand elle y songeait, ils se connaissaient depuis longtemps, ils avaient presque grandi ensemble dans le même quartier nord de Nantes, depuis la maternelle. Ils étaient très proches. Ils s’entendaient comme frère et sœur et prenaient rendez-vous presque tous les soirs après les cours, prétextant préparer le brevet à deux, mais en réalité une passion commune les unissait…

Ils se mirent bizarrement à parler en même temps, d’une voix presque métallique qui les surprit mais ils étaient soulagés de s’exprimer dans la même langue.

– Tu ne devineras jamais ce qu’il m’arrive !

Kahina lui coupa la parole en riant malgré elle :

– Toi aussi, tu as remarqué, il se passe des choses cheloues depuis ce matin !

Que rien n’avait changé dans son langage la rassura aussitôt. Ils avaient vécu la même histoire depuis ce matin et cela les laissa songeurs. Ils poursuivirent leur chemin silencieusement, tentant d’écouter les voix qui provenaient du collège. Ils longèrent les grilles de la fourmilière où les retardataires s’engouffraient précipitamment criant des paroles incompréhensibles. Ils se regardèrent interloqués : ces ados qu’ils avaient pourtant côtoyés mille fois s’exprimaient dans une langue inconnue, la même qu’avaient utilisée leur mère et les voisins.

Stupéfaits et abasourdis, ils décidèrent d’un accord tacite de faire demi-tour et s’éloignèrent discrètement avant qu’un pion ne s’en aperçoive ; de toute façon ces derniers étaient trop occupés à faire la discipline pour faire rentrer tous ces élèves qui se précipitaient dans les couloirs comme dans un entonnoir.

– Le cauchemar se poursuit on dirait, commença Théo.

– Mais que se passe-t-il ? poursuivit Kahina. En moins de dix minutes nos parents seront au courant que nous séchons les cours! Qu’est-ce que je vais prendre par ma mère ! Ajouta-t-elle dans un soupir.

– Il est hors de question que je me donne en spectacle devant tous ces bolos et de toute façon on n’arrivera pas à se faire comprendre. Tu as bien vu ce matin la tête de nos darons.

– Ah non ! Il ne manquait plus qu’eux! s’étrangla-t-elle.

En face, arrivait une bande de voyous, des jeunes déscolarisés qui faisaient leurs petites affaires et terrorisaient les plus jeunes. Ils se mirent exprès en travers de leur chemin. Ils étaient cinq à se déployer en arc de cercle.

« Ne montre jamais ta peur… », elle se souvint de ces paroles que son père lui rappelait souvent.

Une pensée triste lui traversa l’esprit à l’évocation de son papa. Ses parents étaient séparés depuis bientôt deux ans maintenant. Il fallait qu’il soit fier d’elle. Il fallait qu’elle assume, et commença:

– On n’a rien que des trucs d’école sur nous, ça ne vous intéressera pas.

Avant même que Théo puisse en placer une, les jeunes se regardèrent, ahuris et s’écartèrent un peu pour se concerter dans la même langue inconnue qu’ils avaient trop entendue depuis ce matin. Le duo profita de la confusion pour tailler la route. Les harceleurs ne réagirent même pas et ne cherchèrent pas non plus à les poursuivre, tout sidérés qu’ils étaient.

Théo et Kahina s’arrêtèrent enfin et éclatèrent de rire.

– Trop forte ! L’effet que tu as eu sur eux ! Les relous. C’est incroyable !

– Ce qui est incroyable, regarde c’est qu’on se retrouve près de la ligne de tram et qu’on n’est même pas essoufflés!

– Ouais, tu as raison, on a couru un 300 m en un temps record. C’est notre prof de sport qui aurait été choqué de notre performance, s’esclaffa-t-il. Bon, on est sûrs d’une chose à présent, c’est qu’on ne parle pas la même langue et qu’il va falloir être prudents et chuchoter.

– Il faut qu’on sache ce qu’il nous arrive à tous les deux. Il s’est passé quelque chose dans la nuit qui nous échappe. Refaisons, en sens inverse, le chemin que nous avions pris hier soir avant que toutes ces choses ne nous tombent dessus. On est dans la même galère !

– Après les cours, nous sommes allés en ville, rappelle-toi, continua-t-elle. Nous sommes descendus place du Cirque et nous sommes allés à pied jusqu’à Commerce.

– Voilà le tram qui arrive, taisons-nous, lui intima-t-il.

Ils montèrent dans le tram, ils s’habituèrent aux conversations qu’ils ne comprenaient pas comme s’ils avaient été parachutés dans un pays étranger. Une dame les regarda et les interrogea vraisemblablement sur le parcours, leur demandant des précisions sur les différents arrêts en les montrant sur le panneau lumineux. Cependant, ils gardèrent le silence en indiquant par des grands signes qu’ils ne pouvaient pas parler. Tout à coup, les yeux de la vieille dame devinrent tout gris…

– Regarde par la fenêtre, lança Kahina dans un souffle, affolée.

– Ça alors c’est incroyable, on dirait que les immeubles bougent et basculent comme si la ville toute entière changeait de faces comme dans un Rubik’s cube géant ! continua Théo.

En effet, le paysage défilait en tournant à une vitesse folle, les maisons et les immeubles perdaient leurs couleurs. Kahina échangea un regard avec Théo et sut tout de suite qu’il pensait la même chose qu’elle.

– On dirait que tout dégringole, renchérit-elle. Et les couleurs ne sont pas réelles !

Ils tressaillirent. Ils pensèrent quelques instants que leur imagination leur jouait des tours. D’ailleurs, ils avaient remarqué que le tram était construit avec des matériaux recyclables, les plus futuristes qui soient, donnant l’impression qu’il lévitait. Les gens cependant ne se préoccupaient pas de ce qu’il se passait à l’extérieur, on aurait dit des « smombies »* rivés sur leur portable qui semblaient pourtant tous éteints. Soudain, elle crut reconnaître la tête d’un des jeunes voyous dans la foule.

– Viens on descend là, au prochain arrêt, on saute, chuchota-t-elle.

– Des arrêts ont été supprimés ou quoi ! On a fait à peine cinq secondes de trajet et on est déjà dans le centre-ville, tu y comprends quelque chose, toi ?

– Tout va trop vite, habituellement on met une demi-heure depuis La Boissière jusqu’ici !

– Je te dis, ça’ tourne pas rond depuis ce matin !

À peine dit, ils étaient place du Cirque et s’acheminaient vers la rue la plus célèbre de Nantes : la rue Crébillon.

Tout à coup, ils entendirent une rumeur invraisemblable : une foule d’agitateurs et de manifestants descendaient bruyamment la rue en hurlant dans des haut-parleurs. Un déploiement de forces de l’ordre les contenaient sur les côtés pour éviter les débordements et quelques traînées de gaz lacrymogène avaient laissé des traces dans le ciel délavé de mars.

– Il ne manquait plus que ça ! Les gilets jaunes ! Nous v’là bien ! On n’est pas samedi pourtant ?

Ma mère ne veut pas que j’aille dans les manifestations, elle dit que c’est trop dangereux et nous sommes en plein d’dans, soupira Kahina.

– Impossible de faire demi-tour, regarde la police remonte derrière nous, cria Théo.

Des objets voltigeaient dans tous les sens sans les atteindre toutefois.

– Comment fait-on ? questionna la jeune fille.

– Je ne sais pas, répondit Théo, on va devoir passer dedans !

– C’est super dangereux ! s’exclama-t-elle.

– C’est le seul moyen, on n’a pas le choix.

Les deux jeunes adolescents entendirent des bruits de pas sur le bitume derrière eux. Ils se retournèrent et virent le même gars qui les suivait dans le tram : il fonçait sur eux. Ils s’adressèrent un bref regard de sous-entendus et s’élancèrent dans la cohue, talonnés de près par leur poursuivant. Ils se frayèrent un chemin avec difficulté usant des coudes comme il le fallait. Théo était bien plus rapide que Kahina et elle se retrouva seule poussée de toutes parts par les gens en colère. Elle chercha Théo des yeux, quand tout à coup une main lui agrippa le bras et la tira vers l’arrière. Elle se dégagea rapidement et repartit en avant. Elle ne savait pas combien de temps elle avait couru, mais une chose était sure, cela faisait longtemps. Ses cheveux frisés s’étaient défaits dans la course. Elle remettait sans cesse ses longues mèches indisciplinées vers l’arrière pour dégager son beau visage bronzé. Ses yeux noirs, apeurés, cherchaient Théo dans la foule quand une main se posa sur son épaule :

– C’est moi !

Elle se retourna, soulagée de découvrir le visage de Théo en face d’elle. Ils avancèrent lentement quand soudain, la marée humaine s’ouvrit devant eux comme Moïse écartant la mer rouge, sauf que là c’était une mer bariolée de jaune. Indifférente à leur sort, la foule se referma comme elle s’était ouverte et elle repartit de plus belle en vociférant des slogans qu’ils ne comprirent pas non plus. Leurs banderoles sans écriture ondulaient dans la fumée puis tout cela disparut comme par enchantement.

– Incroyable, s’exclama Kahina, c’est FUL-GU-RANT comme dirait notre prof de français. Une fois de plus, ils éclatèrent de rire, leurs nerfs commençaient à lâcher.

– Pour la prochaine rédaction, on saura de quoi parler, pas vrai, sourit Théo pour la rassurer, Madame X est toujours à nous dire que nous n’avons pas assez d’imagination, eh bien là, elle sera servie !

– Mais où sommes-nous ? Je ne reconnais pas du tout ce quartier, s’inquiéta-t-elle. Il n’y a pas âme qui vive, mais où sont donc passés tous les gens ?

Ils avaient en effet marché à vive allure, sans vraiment suivre un itinéraire précis pour se retrouver sur la butte Sainte-Anne, un belvédère sur la Loire. Le musée Jules Verne, accroché à la falaise, surplombait le fleuve qui miroitait bizarrement en contrebas.

– En tout cas, c’est tranquille ici, continua Théo pour se la jouer cool. Viens, allons dans ce square, on sera plus tranquille encore pour discuter.

Un jardin triangulaire dominait Nantes et offrait un petit banc en pierre pour admirer la vue splendide des bords de Loire. On devinait le trafic des voitures, les dockers affairés sur les quais remplis de containers, les petits bateaux en partance. Une statue d’enfant, en bronze, grandeur nature, attira leur attention.

– Tu permets qu’on s’assoit à côté de toi, mec, plaisanta Théo.

– Tu n´sais pas à qui tu t’adresses, t’es vraiment inculte, crâna son amie.

– Et pour qui tu m’prends, je blaguais ! C’est écrit là, sur la plaque, il s’agit de Jules Verne, quand il était petit.

– L’histoire dit même qu’un jour, il s’est enfui de chez lui pour monter dans un bateau. À force de

les regarder partir chaque jour sous sa fenêtre….. il habitait là, c’est la prof qui en a parlé l’autre jour dans son cours.

– Tu connais ma vie, toi ?

La statue avait tourné brusquement la tête vers les deux ados qui voyaient distinctement ses lèvres remuer. Ils étaient paralysés par la peur. Ils voulurent s’enfuir mais une autre sculpture qu’ils n’avaient pas encore remarquée en face leur barra le passage.

– Capitaine Nemo, laissa échapper Théo dans un souffle.

– Ah ! vous le connaissez ? demanda le gamin en se levant.

– Bah oui, s’interposa Kahina qui était restée muette jusque-là.

Elle se racla la gorge et poursuivit sûre d’elle :

– C’est un des personnages les plus fabuleux que vous inventerez dans l’un de vos romans, parce que vous allez devenir célèbre, croyez-moi !

– Ça alors ! Je vais écrire des romans! Que racontent-ils ?

– Et bien, en classe nous avons étudié « Vingt mille lieues sous les mers »,« Le tour du monde en 80 jours », vos livres sont des livres d’aventure passionnants.

– On étudie mes livres à l’école! Eh bien, si je m’attendais à cela ! Mais en quel siècle sommes-nous ?

– Nous sommes au XXIe siècle et je suis le premier de vos fans, ajouta Théo.

– Quel mytho ! chuchota Kahina.

– Alors moi, je n’existe que dans les livres, lança le capitaine Nemo dont la statue, changeant de posture, s’était déployée, j’apparais dans plusieurs romans, j’imagine !  J’espère que vous ne m’avez pas fait mourir dans une de vos aventures ? interrogea-t-il en scrutant le futur écrivain.

– Je ne sais pas, bégaya-t-il, je vous ai observé depuis longtemps sur mon banc, me demandant qui vous pouviez bien être !

Kahina et Théo assistaient à cette conversation hallucinante, surréaliste qui continua un moment sans eux, en se maudissant de n’avoir pas assez révisé leur cours de littérature.

– Comment est-il mort le capitaine Nemo? Demanda Kahina discrètement à son acolyte.

– J’en sais rien moi ! Tu me fais rire avec tes questions ! C’est toi qui aimes bien le français, c’n’est pas moi. On devient fou ou quoi ! Tu as vu ce que tu me demandes, on est en train de parler à des statues ! Pince-moi, voir ! Non mais, je rêve !

Tout à coup, tout vacilla, des pixels apparurent autour d’eux pendant quelques secondes puis leur vue se brouilla, l’écran se déconnecta et lagua* dans un grésillement.

Ils enlevèrent leur casque VR.

– Oh ! Non, il ne manquait plus qu’une étape pour gagner, vociféra Théo dans son micro.

Il jouait en réseau avec elle. La mère de Kahina, vénère, une main sur la hanche et l’autre tenant la prise qu’elle venait de débrancher lança d’une voix sarcastique : game over !!

Classe de 5A, Madame GODINO, Collège Stendhal Nantes.

*« Smombies » mot-valise formé à partir de smartphone et de zombie, mis pour des piétons qui traversent la rue rivés sur leur téléphone.

* Laguer : terme relatif aux nouvelles technologies, être très ralenti en parlant d’ordinateur ou de programmes.