Collège Stendhal

Collège – Nantes

Loire Atlantique
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Cette année la classe 3B participait au concours d’écriture de nouvelles en éducation prioritaire s’adressant aux classes des cycles 3 et 4.

Les élèves devaient produire, individuellement ou collectivement, dans le cours ordinaire de la classe, la suite de l’incipit du roman de Leïla Slimani, Le Pays des Autres, publié en 2020. Le jury a lu 70 textes pour ensuite récompenser les cinq meilleurs.

C’est Tia Cabon, élève de Mme Guillot en 3B, qui a remporté le deuxième prix pour le cycle 4 et nous la félicitons chaleureusement.

Voici sa nouvelle. Bonne lecture !

Mathilde était à la fenêtre et observait le jardin. Son jardin opulent et désordonné, presque vulgaire. Sa vengeance contre l’austérité à laquelle son mari, en tout, la contraignait. Le jour était à peine levé et le soleil, encore timide, perçait à travers les frondaisons. Un jacaranda, dont les fleurs mauves n’étaient pas encore écloses. Le vieux saule pleureur et les deux avocatiers qui ployaient sous des fruits que personne ne mangeait et qui pourrissaient dans l’herbe. Le jardin n’était jamais aussi beau qu’à cette période de l’année. On était au début du mois d’avril et Mathilde pensa qu’Amine n’avait pas choisi ce moment par hasard. Les roses, qu’elle avait fait venir de Marrakech, s’étaient ouvertes quelques jours auparavant et dans le jardin flottait une odeur fraiche et suave. Au pied des arbres s’étendaient des buissons d’agapanthes, de dahlias, des massifs de lavande et de romarin. Mathilde disait que tout poussait ici. Pour les fleurs, cette terre était bénie.

Déjà lui parvenait le chant des étourneaux et elle aperçut, sautillant dans l’herbe, deux merles qui piquaient leur bec orange dans la terre. L’un d’eux avait sur la tête des plumes blanches et Mathilde se demanda si les autres merles se moquaient de lui ou si, au contraire, cela faisait de cet oiseau un être à part que ses congénères respectaient. « Qui sait, songea Mathilde, comment vivent les merles. »

Elle entendit le bruit d’un moteur et la voix des ouvriers. Sur le sentier qui menait au jardin surgit un monstre énorme et jaune. D’abord, elle vit le bras métallique et, au bout de ce bras, la gigantesque pelle mécanique.

Mathilde comprit. Amine avait décidé de faire table rase du passé et surtout de leur histoire d’amour. Il ne voulait pas seulement abandonner ce merveilleux jardin et tous ses
fruits, sa substantifique moelle, et les laisser pourrir lentement au sol. Il voulait les anéantir, les réduire à l’état de terrain vague afin qu’il ne subsiste plus aucun souvenir de Mathilde.
Ce jardin avait cessé d’être merveilleux au moment où le cœur de Mathilde avait cessé de battre. Celle-ci ne pouvait plus rien faire pour empêcher ce désastre annoncé. Elle
était morte sous les coups de son compagnon deux jours auparavant. Toutefois son âme ne pouvait se résoudre à quitter cette maison lui offrant la meilleure vue sur son jardin tant chéri.

Mathilde se sentait enfin en paix et sereine, dans un état de béatitude propre aux rares êtres humains capables de dissocier leur esprit de leur corps. Enfin elle ne ressentait
plus les multiples douleurs infligées par les coups répétés de son mari. Sa mort terminait le dernier acte d’une histoire d’amour toxique jouée avec Amine qui n’avait duré que quelques années. Ils s’étaient rencontrés jeunes, avaient décidé de se marier seulement quelques mois après leur rencontre. Amine, si doux et si prévenant au commencement, avait soudainement changé d’attitude. Il était devenu de plus en plus colérique et sa jalousie maladive l’avait rendu de plus en plus violent.

Cela avait débuté par une claque dans la cuisine car Amine n’avait pas accepté que Mathilde sorte sans l’en informer. Puis les coups se firent de plus en plus fréquents. C’était
devenu presque quotidien, pour un oui ou pour un non, sans aucune raison, bien qu’évidemment aucune raison ne soit valable ni acceptable pour justifier la violence
conjugale. C’était devenu la triste vie de Mathilde, elle s’y était presque habituée. La contemplation de son onirique jardin lui offrait un instant hors du temps qui lui permettait
d’oublier brièvement ses douleurs de plus en plus vives.

Alors l’image presque irréelle de ce monstre mécanique à la mâchoire d’acier s’approchant de son havre de paix provoqua un déclic dans l’esprit de Mathilde, qui réalisa
sa faiblesse et une certaine lâcheté à ne pas fuir l’emprise de son mari violent. Elle aurait pu partir lorsqu’ Amine était au travail. Elle aurait dû s’évanouir dans la nature pour sauver sa vie. Mais pour tout cela, il était trop tard. Elle était morte !

Néanmoins il n’était pas encore trop tard pour empêcher le saccage de son si beau jardin, dernier vestige de son existence. Son esprit demeurait toujours dans la maison. Il
n’était pas parti dans l’au-delà. Il devait bien y avoir une raison à cela. Mathilde comprit. Il s’agissait de l’unique occasion pour elle de faire preuve de bravoure et de se venger de son bourreau. La subsistance de son petit paradis en dépendait.

La gigantesque pelle articulée s’approchait dangereusement de son éden et si elle entendait bien la voix des ouvriers, elle constata avec stupeur qu’Amine manœuvrait lui-même
l’engin de destruction. Elle l’avait laissé faire trop longtemps, elle devait l’arrêter à tout prix et surtout, elle devait le mettre hors d’état de nuire définitivement. Pour la première fois
de son existence, Mathilde entra dans une colère noire lorsque le godet aux dents acérées s’éleva dans le ciel, et à cet instant précis, l’atmosphère s’assombrit et devint électrique, des éclairs zébrèrent le ciel et l’un deux frappa le bras du monstre d’acier. Amine, foudroyé instantanément, s’effondra au sol. Les ouvriers tentèrent de le réanimer mais leurs efforts
furent vains. L’orage disparut aussi brusquement qu’il était arrivé. Le ciel redevint bleu et les merles recommencèrent à chanter. Mathilde redevint tout à fait sereine. Amine ne ferait plus jamais de mal à personne.

Seul le spectre de Mathilde hanta encore l’habitation quelques temps, jusqu’à ce qu’un couple en devienne propriétaire, subjugué par la beauté de son jardin luxuriant.
Mathilde remarqua immédiatement que ce couple avait eu le même coup de foudre qu’elle, pour ce jardin. Elle pouvait définitivement partir en paix, son petit paradis était à nouveau
entre de bonnes mains et apprécié à sa juste valeur.